Quelle est le lien entre confiance et vulnérabilité ?
Souffrance et vulnérabilité
La tradition bouddhiste parle de l’éveil de Bouddha. A ce moment Bouddha: sait « tout sur tout ». Et pourtant il a un doute sur le message qu’il veut transmettre à ses frères humains.
Finalement, il se lance. Et il décide de parler dans son premier enseignement de la souffrance. Bouddha dit en substance : « Nous les humains, parce que nous sommes humains, nous allons souffrir. Le choix de souffrir ou pas n’existe pas. Notre choix est le rapport que nous aurons avec cette souffrance « .
Ça ne parait pas une approche très séduisante. Eviter la souffrance, chercher le bonheur parait une bien meilleure idée. Plus rapide, plus directe.
Maintenant.. Bouddha savait « tout sur tout ». Peut être avait il une vision « d’en haut » sur labyrinthe ou peut s’égarer les Hommes ?
Explications possibles :
Le poids de nos dépendances
Nous sommes l’espèce des Homos Sapiens Sapiens. C’est à dire des animaux qui portent le nom d’Hommes (homo) qui pensent (Sapiens) et qui savent qu’ils pensent (Sapiens + Sapiens). C’est à dire des « machines » à apprendre. Apprendre veut dire s’adapter, faire un effort constant, souffrir un peu chaque jour. Et ce qui est étonnant, c’est que si vous n’apprenez pas, ou pas assez vite, vous souffrez quand même d’ennui !
Nous sommes aussi la seule espèce du monde animal avec une aussi grande dépendance à nos parents. Un bébé naît du ventre de sa mère après 9 mois de gestation. Mais quand il sort du ventre de sa mère, il n’est pas « terminé » sur le plan neurologique. Il faut encore 9 mois de plus pour que son cerveau grandisse et devienne mature. Pendant ce laps de temps le bébé est totalement dépendant. Ensuite, pendant de longues années, il le reste à l’égard de ses parents ou de ceux qui en tiennent lieu. Pour survivre, le bébé a besoin de recevoir de l’attention, ce sera vital pour lui. En grandissant, cette attention vitale va porter un autre nom : l’amour. Ne pas recevoir cette « came » quand on est adulte ça fait mal, très mal même.
« L’enfer c’est les autres » mais j’ai tellement besoin de l’Autre, de sa reconnaissance, de son amour, de son attention. Nous sommes pris entre deux feux qui nous brûlent. Grandir, apprendre, s’autonomiser versus recevoir de l’amour, s’adapter, être reconnu.
Le poids de la société
Nous sommes aussi une espèce qui vit dans un environnement social très complexe, très codifié mais dont la raison du Code s’est souvent perdue avec le temps.
Le peuple des oiseaux
Claude Lévi-Strauss, l’ethnologue, raconte que pendant son séjour en Amazonie il rencontre une tribu qui vit comme au Néolithique. La tribu habite au bord d’une rivière d’eau potable et poissonneuse, dans une forêt qui pourvoit amplement aux besoins alimentaires du clan. « Le problème qu’ils ont » dit Lévi-Strauss « est qu’ils disposent de 16 heures de veille par jour, mais ils n’ont besoin que de 2 heures au maximum pour se nourrir et se préserver. » Ça n’a pas l’air grave comme ça et ne poserait pas de problème s’ils étaient des animaux. Mais voilà, ce sont des Homo Sapiens Sapiens, ils ont un besoin vital d’occuper leur temps de façon constructive. Ne pas occuper leurs gros cerveaux. ça les tue.
Alors les membres de la tribu inventent : ils imaginent un Dieu des oiseaux qui les empêche de chasser et de consommer à certains moments: ça leur complique la tâche et leur demande de la créativité. Ils inventent un Dieu obscur de la Terre qui ne peut être repoussé que par des cérémonies expiatoires où les membres de la tribu sont déguisés : ce qui qui donne naissance à un Art des parures et masques. Il faut 3 jours à un groupe de guerriers aguerris pour aller chercher dans les entrailles de la Terre le champignon particulier, qui, brûlé, protégera la tribu de la fureur du Dieu du feu ! Certains membres sont prêts a mourir pour cela. La tribu est très occupée. Ils vivent sous le stress intense de briser un tabou…
Lévi-Strauss note que notre société occidentale n’est guère différente, elle a oublié souvent pourquoi elle fait ce qu’elle fait !
Et nos propres croyances qui vacillent
Nous et nos enfants stressons et souffrons pour l’atteinte d’objectifs qui ne relèvent que d’une foi commune, largement inconsciente, dans une certaine cohérence de notre monde. Si cette cohérence vacille, comme elle vacille franchement dans cette période de changements lié a l’épidémie de COVID, beaucoup des « obligations de la tribu », des principes éducatifs à transmettre se vident de sens. Et un être humain en manque de sens souffre !
Le poids de notre humanité
Nous avons également un problème avec la finitude : la mort. Les humains savent dès 4 ans qu’ils vont mourir. C’est une angoisse très forte. Non pas tant de la mort elle-même, mais celle de disparaître, d’avoir « vécu pour rien ». La souffrance existentielle est celle qui reste quand les autres s’apaisent.
Nietzsche propose d’imaginer que l’on vient de nous annoncer que que nous allons mourir dans 6 mois. Un cancer par exemple. Que ferais tu à ce moment de ta vie ? Continuerais-tu à vivre « normalement » ? Ou aurais tu le courage de vivre une vie différente, « pleinement vécue » ? Qu’est ce qui compterait vraiment pour toi ?
« Quand votre temps s’achèvera » qu’est-ce qui vous donnera confiance dans la justesse de la place que vous avez occupée dans ce monde ? Qu’est-ce qui fera taire l’angoisse de la Mort ?
Que se passera t’il si vous ne pouvez pas y répondre ?
Confiance et Vulnérabilité
Les bouddhistes disent : « un cœur est fait pour être brisé ». Apprendre la vulnérabilité est le chemin de la sagesse. La quête fondamentale pour qui cherche la confiance.
Confiance c’est étymologiquement cum « avec » et fidere « la foi ». La « foi » c’est l’acte de se soumettre « à la volonté de Dieu ». Islam se traduit d’ailleurs par « soumission à dieu ».
En tant qu’agnostique, je dirais » soumis à la volonté du monde ». Confiance voudrait dire alors « acceptation de sa vulnérabilité profonde au monde ».
Et c’est ce que veut dire Bouddha il me semble quand il demande d’accueillir la condition humaine, la souffrance qui va avec, pour éviter de souffrir de ce qui ne peut être évité ni changé. Pour se concentrer pleinement sur le respect de nos limites et nos espaces de liberté.
La confiance, l’acceptation la plus entière possible de sa propre vulnérabilité personnelle mais aussi d’Etre Humain , est la clé pour celui qui veut VIVRE PLEINEMENT SA VIE.
Cedrick Fromont
24/05/202